Commissariat aux comptes : Petites entreprises, vous allez nous manquer….
Cela parait à priori comme une bonne nouvelle pour les petites entreprises. Les entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée (Eurl) et les sociétés dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 10 millions de dinars ne seront plus tenues de faire certifier leurs comptes par un commissaire aux comptes. Cette mesure figure au titre des dispositions diverses de la loi de finances pour 2010.
A l’origine, le commissariat aux comptes qui ne s’imposaient qu’aux sociétés par actions, tant dans la rédaction originelle que révisée du code de commerce algérien, s’est finalement appliqué à toutes les sociétés commerciales à compter de l’exercice 2006.
C’est ainsi qu’en avait disposé la loi de finances complémentaire pour 2005 qui avait élargi le commissariat aux comptes aux sociétés à responsabilité limitée.
Cette démarche arrière est un allégement de formalité pour les petites sociétés.
Bonne nouvelle pour les petites sociétés qui auront perçu ce retour en arrière comme un allégement de formalité si l’audit légal est perçu de la sorte, mais mauvaise nouvelle pour celles qui dépasseront le seuil des 10 millions de dinars de chiffre d’affaires et qui considèrent que le commissariat aux comptes est une lourde contrainte.
Pourtant l’intervention d’un commissaire aux comptes devrait être perçue comme un accompagnement de l’entreprise, quelque soit sa taille, dans la perspective où toute petite entreprise est vouée à devenir grande, si la croissance reste la motivation dans la conduite des affaires.
L’audit légal est structurant car outre le fait qu’il apporte aux dirigeants de sociétés le visa de qualité de l’information financière, nécessaire aux tiers utilisateurs, le commissaire aux comptes attire l’attention des dirigeants, tout au long de sa mission, sur la conformité aux lois et règlements et sur les procédures de contrôle interne.
Les dirigeants de petites sociétés ont raison de prétendre à des mesures simplifiées car nonobstant la petitesse de l’affaire, l’environnement peut s’avérer très lourd pour des organisations qui n’ont que très peu de moyens humains et financiers.
Même si la barème des commissaires aux comptes a été révisé pour permettre un honoraire minimum de 40,000 DA pour les sociétés conjuguant un total de bilan et des produits d’exploitation de moins de 50 millions de dinars, il n’en demeure pas moins que l’addition d’honoraires d’autres professionnels à ceux d’un commissaire aux comptes peut s’avérer un budget lourd pour une entreprise ne dépassant pas les 10 millions de dinars de chiffre d’affaires.
Par ailleurs, il n’est pas démontré que l’application du commissariat aux comptes aura pu dissuader le commerce informel, tel que le visait la loi de finances complémentaire pour 2005, à l’occasion de l’extension du commissariat aux comptes aux sociétés à responsabilité limitée. Cet objectif, sans doute trop ambitieux, était dès son origine décalé par rapport aux normes d’audit appliquées aux pratiques des affaires en Algérie, plus particulièrement en petite entreprise.
Il reste que le commissariat aux comptes, réputé contraignant pour les petites sociétés, demeure une condition pour l’exercice des activités d’importation des matières premières, produits et marchandises destinés à la revente en l’état, ces activités étant réservées aux sociétés de droit algérien soumise à l’obligation de contrôle du commissaire aux comptes, tel que prévu par la loi de finances pour 2008.
De même que les petites sociétés seront, sans doute, privées du droit à procéder à la déclaration annuelle rectificative, prévue à l’article 151-3 du code des impôts directs, qui permet de soumettre une telle déclaration dans les 21 jours qui suivent l’expiration du délai pour la tenue de l’assemblée générale ordinaire. En effet cette déclaration doit sous peine d’irrecevabilité être appuyée, en plus du procès verbal d’assemblée générale, du rapport du commissaire aux comptes.
Le choix optionnel devrait permettre aux sociétés souhaitant la transparence de faire auditer leurs comptes.
On peut toutefois s’interroger sur le retour radical aux pratiques d’origine, plutôt aux non-pratiques, et se demander s’il n’aurait pas été opportun de laisser l’option aux petites sociétés de recourir au commissariat aux comptes par option, en stipulant que le commissariat aux comptes leur est facultatif.
A notre avis, la rédaction de cette mesure de loi de finances pour 2010 reste en phase avec le contexte actuel qui prône la transparence financière, puisqu’elle prévoit que les Eurl et les autres sociétés réalisant moins de 10 millions de dinars de chiffre d’affaires ‘ne sont pas tenues’ de faire certifier leurs comptes par un commissaire aux comptes. Ne pas être tenu ne signifie pas en être exclu. Les associés de ces petites sociétés peuvent donc bien prendre l’option de faire certifier leurs comptes par un commissaire aux comptes.
Les défenseurs du maintien de ce contrôle argumentent que l’absence de commissariat aux comptes risque de fragiliser la tenue des comptes des entreprises, pour lesquelles le commissariat aux comptes représente un visa de qualité de confiance et garant d’une sécurité financière fiable.
Sans doute faudra-t-il prévoir, pour les sociétés les plus petites, une norme d’exercice professionnel adaptant des diligences minimales que les commissaires aux comptes pourraient mettre en œuvre dans l’exercice de leur mission auprès des petites sociétés.
En France la norme d’exercice professionnel ‘Petites Entreprises’ a été homologuée en mars 2009. Sous le hasard de concordance de calendrier, au moment où en Algérie le commissariat aux comptes est supprimé pour les petites sociétés, la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes en France (CNCC) a tenu sa XXIIeme édition des Assises nationales de la profession, le 4 décembre 2009 à Paris, sous le thème de l’adaptabilité du commissariat aux comptes comme vecteur de croissance.
Son Président, Claude Cazes a argumenté, dans son discours inaugural, le choix du thème des assises, qui plutôt de traiter d’adaptation – ce qui exprime déjà une forme de mise en œuvre dans des situations acquises – a préféré celui de l’adaptabilité qui est synonyme de progrès permanent.
Pour Claude Cazes : « L’adaptabilité apporte un ensemble de réponses graduées selon les besoins des entités auditées et de leur environnement. Adapter le commissariat aux comptes ne dénature en rien l’exercice des professionnels et répond aux exigences toujours plus strictes des utilisateurs et des marchés et plus encore en cette période qui oscille entre fin de crise et redémarrage de la croissance économique.
L’adaptabilité confirme l’intelligence du jugement professionnel dans un métier riche de procédures technique particulièrement fiables ».
Les mesures transitoires ne sont pas clairement exprimées.
Dans le contexte de la transition vers la suppression du commissariat aux comptes dans les petites sociétés, il convient également de s’interroger sur les mesures transitoires qui ne sont pas précisées par le texte de loi de finances pour 2010, tel que le statut des mandats en cours, les fins de mandats, la période de référence pour l’atteinte du seuil de chiffre d’affaires de référence et le cas des sociétés nouvellement constituées.
Pour le cas des mandats en cours, la logique voudrait que s’agissant d’un mandat régi par des dispositions de loi (loi sur la profession et code de commerce) les petites sociétés qui ont un commissaire aux comptes au 31 décembre 2009, devraient le garder jusqu’au terme de son mandat qui est triennal. Telle avait été la position de la Compagnie des Commissaires aux Comptes en France, lorsqu’une mesure similaire avait été prise, tant pour les Sarl que pour les sociétés anonymes simplifiées (SAS), considérant que le commissaire aux comptes ne peut pas démissionner pour s’adapter à une nouvelle règlementation.
En France, la nomination du commissaire aux comptes dans une SAS doit intervenir au cours de l’exercice suivant celui pour lequel les seuils sont dépassés. Elle n’est pas obligatoire pour le contrôle des comptes de l’exercice au cours duquel les seuils sont dépassés.
En Algérie, la précision n’a pas été donnée par le texte de la loi de finances. En toute logique, sur la base de la règle de la permanence de l’exercice de la mission de vérification, tout au long de l’année, il conviendrait d’attendre que le chiffre d’affaires annuel soit arrêté et que l’organe délibérant, (l’assemblée générale) dument convoqué statue sur la désignation d’un commissaire aux comptes. A l’inverse le fait de passer en-dessous du seuil fixé par la réglementation ne devrait pas entrainer la caducité du mandat du commissaire aux comptes.
Enfin pour ce qui concerne les sociétés nouvellement constituées, la difficulté d’application de la mesure porte sur le niveau du chiffre d’affaires qui n’est pas connu à la constitution, sauf si les associés, en connaissance d’objectifs supérieurs au seuil fixé réglementairement, décident volontairement de désigner un commissaire aux comptes. Une autre solution serait de considérer qu’il n’y a lieu de nommer un commissaire aux comptes que si, à l’issue du premier exercice social, l’assemblée générale ordinaire constate que la société a dépassé le seuil réglementaire.
Il y a lieu de relever le cas des sociétés consolidées qui n’est pas traité; mais en toute logique toutes les sociétés entrant dans un périmètre de consolidation devraient être auditées, même celles concernées par la dispense du commissariat aux comptes.
Reste à souhaiter aux petites entreprises de devenir grandes.
Il restera toujours à ces petites sociétés de publier leurs comptes, car au risque d’un amalgame dans l’allégement des formalités, la dispense de commissariat aux comptes n’est pas étendue à celles de la publication des comptes auprès du CNRC.
Reste à souhaiter aux petites sociétés de devenir grandes et que dans l’intervalle de temps elles structureront leur bonne gouvernance.