
France : Une autorité des normes comptables pour défendre les intérêts des sociétés françaises.
L’autorité française des normes comptables (ANC) vient d’être installée par une ministre de l’économie déterminée à reprendre en main le débat comptable ; un sous-entendu à la situation dans laquelle prévalait le contrôle indirect de l’IASB[1], notamment depuis que la France applique les IFRS.
Dans les pays où les normes IFRS sont appliquées, l’objectif de marché financier unifié constituait la première motivation pour l’Europe de l’application des IFRS aux seules sociétés cotées en bourse. Parallèlement les normes locales applicables aux sociétés non cotées, de chacun des pays européens, se sont harmonisées en rapport avec les IFRS.
Alors que chacun des états membres de l’Union Européenne adapte sa législation comptable aux nouvelles dispositions, la Commission Européenne adopte les normes comptables internationales par des règlements directement applicables sans transposition nécessaire dans les législations nationales.
Les états membres de l’Union Européenne ont également la latitude d’autoriser les sociétés non cotées de présenter leurs comptes en normes IFRS depuis 2005.
Le contexte de crise internationale a démontré que certaines des difficultés trouvaient leur origine dans l’application de certaines normes IFRS.
La juste valeur et la gouvernance de l’IASB au centre des débats.
La principale critique faite aux IFRS est l’utilisation trop large de la juste valeur, sans tenir compte du « business model » spécifique de l’entreprise ni de ses perspectives à moyen et long terme. Dans son prolongement la critique, sur la juste valeur, est qu’elle sert principalement les investisseurs à la faveur de la comparabilité entre entreprises, sans mettre en avant l’intrinsèque de l’entreprise, l’analyse des facteurs de performance et ses perspectives. Au final le procès de la juste valeur est la conclusion portée par certains dirigeants européens sur son implication dans la crise économique et financière mondiale, en raison notamment de son effet sur l’aggravation de la situation des banques, et donc dans la crise financière. Les IFRS sont suspectées d’avoir entraîné une dégradation artificielle des résultats et des fonds propres des entreprises qui appliquent ce référentiel.
La seconde critique est faite à l’instance internationale de normalisation comptable, l’IASB, sur son manque de réactivité et de transparence. L’IASB serait devenue une organisation trop indépendante aux yeux des gouvernements, plus particulièrement ceux d’Europe[2].
En France, la mise en place de l’Autorité des Normes Comptables est l’issue d’une démarche logique pour contribuer à la correction de ces impacts. Les corrections sont d’ailleurs des recommandations du rapport du 13 octobre 2009 [3] de deux professeurs de l’ESCP qui ont conduit une réflexion sur le fondement des normes comptables et qui ont analysé l’impact des normes comptables internationales sur la volatilité des comptes ainsi que les questions de gouvernance de la normalisation comptable.
La normalisation comptable n’est pas neutre sur l’économie réelle.
Leur diagnostic a confirmé, entre autres, que le système de normalisation comptable n’est pas neutre sur l’économie réelle et qu’il doit entrer, au moins partiellement, dans le champ de la responsabilité publique.
Le constat est que la représentation des intérêts des états et de l’ensemble des parties prenantes des entités utilisatrices des normes est explicitement absente du Board de l’IASB.
Le formalisme appliqué à la publication des normes internationales rassure, mais l’IASB donne une perception d’absence d’écoute et de responsabilité notamment lorsque les instances de normalisation ne priorisent pas les questions de fond, parmi lesquelles celle des principes fondateurs des normes.
En tout état de cause, une partie de la normalisation comptable échappait aux instances de normalisation internes. Devenues le nouveau standard de communication financière des sociétés cotées, les IFRS invitent que les états puissent participer plus activement à l’évolution de ces normes internationales et de donner un avis sur leur interprétation.
La mise en place de l’Autorité des Normes Comptables en France est déjà la première application des recommandations du rapport précité, notamment celle de :
– Faire entrer la mission de normalisation comptable, au moins partiellement, dans le champ de la responsabilité publique, d’intégrer explicitement l’intérêt public parmi les paramètres d’entrée du processus de création de normes.
– Exiger des instances de normalisation comptable de rendre explicites les principes fondateurs des normes produites, sur constat que celles-ci semblent aujourd’hui plus reposer sur l’adossement des informations comptables aux besoins des investisseurs de court terme.
Le CNC et le CRC sont désormais fusionnés.
La normalisation comptable en France a été exercée, bien avant l’introduction des IFRS, par l’intervention de deux organismes clefs : le Conseil National de la Comptabilité (CNC) et le Conseil de la Réglementation Comptable (CRC.) Depuis janvier 2009, l’Autorité des Normes Comptables (ANC) regroupe ces deux organes de normalisation.
Le Conseil national de la comptabilité avait pour mission d’émettre, dans le domaine comptable, des avis et recommandations concernant l’ensemble des secteurs économiques. Investi d’une mission technique, sa contribution prenait la forme d’avis, de recommandations ou de communiqués. Le CRC créé en 1998 avait pour mission de donner une force réglementaire et donc obligatoire aux avis du CNC.
Il était chargé d’unifier le processus de normalisation comptable en adoptant des règlements. Le CRC jouait, en quelque sorte, le rôle de « conseil constitutionnel » chargé d’étudier les avis du CNC sur un plan plus juridique que technique, afin de s’assurer de la cohérence et de la compatibilité des avis du CNC avec les règles comptables en vigueur.
Aujourd’hui l’ANC représente le regroupement en une seule entité des compétences du CNC et du CRC.
La nouvelle configuration de l’institution de normalisation devrait simplifier le dispositif de normalisation comptable français, en conférant à une seule entité, chargée de fixer les règles de la comptabilité privée, les compétences partagées entre le CNC et le CRC.
Les missions de l’ANC sont de trois types.
– Elle sera tout d’abord compétente pour édicter les prescriptions comptables générales et sectorielles auxquelles sont soumises les personnes physiques ou morales établissant des documents comptables conformes aux normes de la comptabilité privée. Dans ce cadre, elle adoptera les règlements comptables qui leur sont applicables.
– Elle donnera un avis sur tout projet de texte contenant des dispositions de nature comptable élaboré par les autorités nationales et pourra émettre des avis sur les projets de normes internationales.
– Enfin, elle assurera la coordination et la synthèse des travaux théoriques et méthodologiques conduits en matière comptable et pourra formuler notamment des recommandations dans ce domaine.
Le président de l’ANC nommé le 20 janvier 2010 a reçu pour mission, dans un contexte où la comptabilité présente des enjeux économiques importants, de « réformer le processus français de normalisation» qui concerne essentiellement les PME, en associant « plus étroitement les utilisateurs des normes » pour « faire émerger une position commune.» et de permettre à la France de « peser plus efficacement dans les débats internationaux », et « particulièrement ceux sur les normes IFRS » avec un mandat clair, celui de «défendre les intérêts des entreprises françaises »[4]
Il n’est pas exclu que d’autres pays européens en fassent autant et qu’ils se dotent d’une autorité capable de peser dans les débats internationaux, particulièrement dans les débats relatifs aux normes comptables internationales élaborés par l’IASB.
Il est même probable de voir prochainement la création d’une instance de régulation comptable européenne.
Il faudra certainement compter sur des compromis, car l’audience internationale des sociétés cotées n’est pas la même que celle des sociétés non cotées. Telle est d’ailleurs la portée de la prochaine saisie de l’IASB par l’ANC française portant justement sur l’instauration d’un jeu de normes IFRS à l’usage des PME non cotées.
Normalisation comptable en Algérie.
En Algérie, la normalisation comptable est dévolue au Conseil National de la Comptabilité qui a une mission de coordination et de synthèse dans le domaine de la recherche et de la normalisation comptables et des applications y afférentes.[5]
Dans le cadre de la mise en place du nouveau référentiel comptable, le CNC algérien trouve dans ses missions des attributions avant-gardistes car il y est déjà inscrit :
– la proposition de mesures visant à la normalisation des comptabilités et de leur exploitation rationnelle;
– l’examen, les avis et recommandation sur tous les projets de textes juridiques se rapportant à la comptabilité; et surtout
– le suivi de l’évolution, au plan international des méthodes, organisations et instruments se rapportant à la comptabilité.
L’interface du nouveau référentiel comptable avec les différents textes de loi et de réglementations reste un grand dossier de normalisation du droit comptable algérien.
Quant à l’impact des normes IFRS, notre pays en est partiellement préservé pour ne pas les avoir adoptées, mais en reste néanmoins quelque peu exposé pour celles des normes qui ont été inspirées pour l’élaboration du Système Comptable et Financier.
Pour ce qui concerne la normalisation comptable, elle est de tradition et historiquement dans le champ de la responsabilité publique.
[1] International Accounting Standards Board.
[2] Notre contribution au supplément économie d’El Watan du 16 novembre 2009: Quand la gouvernance interpelle les normes comptables internationales.
[3] Pascal Morand Directeur Général de l’ESCP Europe et Didier Marteau, Professeur d’économie à l’ESCP Europe dans leur rapport sur les normes comptables et la crise financière.
[4] Source : Journal ‘La Tribune’ du 25 février 2010
[5] Décret exécutif du 96-318 du 25 septembre 1996 portant création et organisation du Conseil National de la Comptabilité.