
Nouvelle loi comptable: Les banques algériennes seraient-elles pionnières ?
Un récent communiqué du Centre National du Registre du Commerce (CNRC) a été publié pour informer les responsables des sociétés commerciales, dotées de la personnalité morale, que l’opération de dépôt légal obligatoire des comptes sociaux de l’exercice 2009 est lancée. A l’adresse des banques et des établissements financiers, ce communiqué requiert des états financiers particuliers, notamment ceux prévus par la nouvelle réglementation comptable.
Les banques seraient-elles avant-gardistes au point d’être en mesure de publier des comptes dans un format en relation avec la nouvelle loi comptable – le Système Comptable et Financier (SCF)- qui n’est entrée en vigueur qu’à compter du 1er janvier 2010?
Des précisions et une mise au point s’imposent.
La publicité des comptes:
Il faut rappeler que la publicité des comptes est prévue par la loi 04-08 du 14 août 2004, relative aux conditions d’exercice des activités commerciales, mais également par le code de commerce au 3ème alinéa de son article 717.
Cet article prévoit que les comptes sociaux font l’objet, dans le mois qui suit leur adoption par l’assemblée générale, d’un dépôt au centre national du registre de commerce. Ledit dépôt vaut publicité.
L’alinéa premier, qui sous une ancienne rédaction fait état du compte d’exploitation générale du compte de pertes et profits et du bilan, n’enlève pas moins l’obligation d’établissement de ces états dans la forme prescrite par la loi en vigueur, en l’occurrence celle du plan comptable national, encore en vigueur pour les clôtures au 31 décembre 2009.
Selon l’article 12 de la loi 04-08 du 14 août 2004 relative aux conditions d’exercice des activités commerciales, les publicités légales, pour les personnes morales, ont pour objet de faire connaître aux tiers, le contenu des actes constitutifs de sociétés, les transformations, les modifications ainsi que les opérations portant sur le capital social, les nantissements, les locations-gérances, les ventes de fonds de commerce ainsi que les comptes et avis financiers.
Qu’entend-on par comptes sociaux?
Les comptes sociaux correspondent aux comptes d’une société, sans intégrer les comptes de ses éventuelles filiales, à l’opposé des comptes consolidés qui intègrent l’ensemble des comptes des sociétés formant le groupe.
Les comptes sociaux d’une société mère font donc partie des comptes consolidés, lorsqu’il y a matière à consolidation.
Les comptes consolidés constituent la somme des comptes sociaux des entreprises du groupe, précision faite qu’ils retraitent les produits et charges, créances et dettes existants entre les entreprises consolidées. Le résultat consolidé est donc issu du résultat social.
L’article 732 bis 4 du code de commerce précise qu’on entend par comptes consolidés, la présentation de la situation financière et des résultats d’un groupe de sociétés, comme si celles-ci ne formaient qu’une seule entité.
Ils sont soumis aux mêmes règles de présentation, de contrôle, d’adoption et de publication que les comptes annuels individuels, même si le communiqué du CNRC ne les désigne pas.
Il est également précisé sous l’article 732 bis 3 du code de commerce que les sociétés holding qui font appel public à l’épargne et/ou cotées en bourse, sont tenues à l’établissement et à la publication des comptes consolidés tels que définis à l’article732 bis 4 du même code.
La définition des comptes sociaux présentée par le CNRC sur son site Web[1], en référence avec les dispositions du code de commerce notamment, l’article 717 alinéa premier, précise ‘qu’on entend par « comptes sociaux », une série de trois (03) tableaux comptables suivants :
– le Compte de résultats ;
– l’Actif ;
– le Passif.’
Et toujours, selon la même source, de préciser que ‘ces tableaux reflètent, au vu des données chiffrées qu’ils contiennent en sus du procès-verbal de l’assemblée générale statuant sur les comptes de l’exercice considéré, la situation financière réelle d’une société commerciale.’
Désormais un dispositif réglementaire dissuasif est en place pour les sociétés défaillantes :
Le CNRC a régulièrement mené des campagnes de sensibilisation au point de rappeler chaque année, comme sous le récent communiqué, l’obligation de cette formalité. De même qu’il s’est organisé pour faciliter l’opération, notamment par la décentralisation des publicités légales au niveau de chaque wilaya et par l’allégement du dossier de dépôt des comptes des entreprises concernées.
Pour les sociétés défaillantes, la tolérance observée par le CNRC les premières années, s’est trouvée à juste titre amoindrie, car au fil des années il n’était plus possible de plaider la défection des sociétés par la seule méconnaissance de la réglementation.
Il a donc suffit au CNRC d’appliquer à la lettre l’article 35 de la loi 04 -08 du 14 août 2004 relative aux conditions d’exercice des activités commerciales, selon lequel le défaut de publicité des mentions légales – y compris donc des comptes sociaux – expose les sociétés défaillantes à une amende de 30.000 à 300.000 DA.
Comme le prévoit cet article 35, le CNRC a donc été tenu de transmettre aux services chargés du contrôle de l’administration chargée du commerce, la liste des personnes morales et établissements n’ayant pas accompli les formalités de publicité légale.
Des décisions de justice ont suivi, pour le prononcé des amendes, suite à quoi les entreprises sanctionnées ont pu procéder à la formalité pour les comptes de 2008 auprès du CNRC.
Par ailleurs, depuis le mois de juillet 2009, le dispositif pour l’application de la formalité de publicité des comptes sociaux a été renforcé par la loi de finances complémentaire pour 2009 (LFC 2009), au titre des dispositions fiscales diverses, pour moraliser la transparence des affaires.
Désormais selon l’article 29 de la LFC 2009, le défaut de dépôt légal des comptes sociaux, entraîne, au même titre que pour les auteurs d’infractions graves aux législations et réglementations fiscales, douanières et commerciales, inscrits au fichier national des fraudeurs, l’exclusion:
– du bénéfice d’avantages fiscaux et douaniers liés à la promotion de l’investissement ;
– du bénéfice des facilitations accordées par les administrations fiscales, douanières et de commerce ;
– de soumission aux marchés publics ;
– des opérations de commerce extérieur.
Qu’en est-il des banques ?
Les banques comme toutes les sociétés sont tenues de procéder à la formalité de publicité auprès du CNRC, mais contraintes à un délai de six mois après la clôture de l’exercice et non à celui du mois qui suit la date de l’assemblée générale qui approuve les comptes.
En effet l’article 103 du code la monnaie et du crédit prévoit que toute banque ou tout établissement financier doit publier ses comptes annuels dans les six (6) mois qui suivent la fin de l’exercice comptable au bulletin officiel des annonces légales obligatoires avec communication préalable de l’original des comptes annuels à la commission bancaire avant publication.
Cette obligation est rappelée par le récent règlement 09-05 du 18 octobre 2009 de la Banque d’Algérie, relatif à l’établissement et à la publication des états financiers des banques et des états financiers, sous son article 7.
Il faut rappeler qu’à la fin de l’année 2009 et dans le contexte de l’imminente entrée en vigueur de la nouvelle loi comptable (le SCF), la Banque d’Algérie a mis en conformité les obligations comptables des banques et institutions financières en publiant deux règlements clés :le règlement n° 09-04 du 23 juillet 2009 portant plan de comptes bancaires et règles comptables applicables aux banques et aux établissements financiers, abrogeant le règlement n° 92-08 du 17 novembre 1992, et
– le règlement n° 09-05 du 18 octobre 2009 relatif à l’établissement et à la publication des états financiers des banques et des établissements financiers, abrogeant le règlement n° 92-09 du 17 novembre 1992.
– Le règlement 09-04 est original au sens où il s’aligne sur la loi comptable principale (le SCF) puisque les établissements assujettis doivent enregistrer leurs opérations selon les principes comptables définis par la loi n°07-11 du 25 novembre 2007 portant système comptable financier et les textes réglementaires pris pour son application[2].
De même qu’il précise que les règles d’évaluation et de comptabilisation des actifs, des passifs, des charges et des produits sont celles fixées par l’arrêté du 26 juillet 2008 fixant les règles d’évaluation et de comptabilisation pour application du SCF.[3]
Une judicieuse indexation avec le règlement 09-05, relatif à l’établissement et à la publication des états financiers des banques et des établissements financiers, tout en adoptant le cadre conceptuel du SCF, oblige les banques et établissements financiers d’appliquer un plan de comptes particulier et un format d’états financiers en rapport avec leurs activités.
C’est d’ailleurs sous son article 2 que le règlement 09-05 définit les états financiers comme constitués du bilan et hors bilan, du compte de résultats, du tableau des flux de trésorerie, du tableau de variation des capitaux propres et de l’annexe. C’est là un excellent alignement sur le SCF qui comprend les mêmes états, à l’exception du hors bilan spécifique aux institutions financières, même si le SCF oblige les entreprises commerciales à un suivi permanent des engagements financiers hors bilan, dont la situation à la fin de l’année devra figurer à l’annexe des états financiers. [4]
Dilemme pour l’application de la nouvelle réglementation comptable par les banques:
A notre avis, les récents règlements de la Banque d’Algérie ont été publiés dans l’intention d’un alignement sur la nouvelle loi comptable, applicable à compter du 1er janvier 2010, pour toutes les entreprises, y compris les banques et les établissements financiers.
Outre le fait que la logique d’indexation entre les différents textes établit bien le lien avec le cadre conceptuel du SCF, les états financiers au format adapté aux activités bancaires et financières, sont ceux qui devraient être publiés au 31 décembre 2010 et clôtures à venir.
Il serait difficile de concevoir des états financiers établis sous des principes conformes à la nouvelle loi comptable pour l’année 2009 dont l’arrêté des comptes reste gouverné par l’ancienne réglementation.
Sans doute le quiproquo résulte-t-il du fait que les règlements 92-08 et 92-09 ont été abrogés, mais la logique est que les nouveaux règlements expressément référencés à la nouvelle loi comptable ont été publiés pour régir le passage des banques et institutions financières au SCF.
Outre le fait que les nouveaux formats d’états financiers font référence à des notes à porter à l’annexe – un concept de présentation propre au SCF – les soldes de l’année précédente doivent être renseignés. Il est difficile de concevoir une présentation des états financiers au 31 décembre 2009 avec un retraitement des soldes de 2008 alors que l’on s’accorde à considérer un retraitement de la clôture de 2009 pour qu’elle serve à la comparabilité lors de l’établissement des états financiers au 31 décembre 2010.
La confection du tableau des flux de trésorerie pose à cet égard un problème évident si les banques devaient le fournir pour l’exercice 2009 comme le requiert le récent communiqué du CNRC.
Alors pourquoi demander aux banques et institutions financières de fournir plus, lorsque les autres entreprises clôturent leurs comptes de 2009 sous le régime de l’ancienne loi comptable?
Ces organisations se sont préparées comme les autres à ne retraiter leurs comptes de 2009 pour que pour la réouverture et la comparabilité de leurs comptes de 2010. Les comptables, responsables financiers et dirigeants des banques et institutions financières sont certainement dans l’attente de précisions.
[2] Article 3 du règlement 09-04 de la Banque d’Algérie.
[3] Article 4 du règlement 09-04 de la Banque d’Algérie.
[4] Sous le SCF l’annexe fait partie intégrale des états financiers.