La liquidité piégée.
Appliqué à l’échelle d’une entreprise ou d’un pays, cette notion fait référence à la trésorerie d’entreprise enlisée dans des procédures ou des réglementations qui font du plus liquide des actifs le moins disponible. Un paradoxe qui est pourtant une réalité, un sujet que les gestionnaires doivent traiter au quotidien.
La trésorerie ou ‘Cash’[1] est le nerf des affaires, la substance de subsistance de l’entreprise :
Il y a de nombreux exemples de faillite d’entreprises par le simple fait qu’elles n’ont pas pu générer la trésorerie suffisante pour payer leurs moyens tels que leur personnel et leurs fournisseurs ; mais également pour réinvestir et constituer les niveaux de liquidité en adéquation avec leur cycle d’exploitation.
L’expression ‘Trésorerie piégée’ – ‘Trapped Cash’ en anglais- illustre la situation d’une liquidité à portée de main mais qui, par des événements internes à l’entreprise ou liés à son environnement, font que cette liquidité est inopérante et qu’elle ralentit ou bloque les flux de trésorerie ‘nerf de la guerre en entreprise.’
A l’inverse la trésorerie disponible -‘Non-Trapped Cash’ en anglais- reflète une situation de liquidité immédiate, tels que les avoirs disponibles en banque, mais également tout actif liquide ou susceptible de l’être à très court terme.
La liquidité trouve sa source dans la gestion des actifs circulants, tels que les stocks et les créances à court terme qui ont vocation à se transformer en trésorerie plus rapidement que les actifs immobilisés et les placements ou créances à long terme.
L’amélioration de la liquidité peut également se faire par la décision de ne pas payer un fournisseur à échéance. En retardant le paiement, l’entreprise rend sa liquidité disponible pour payer de nouveaux moyens que ceux déjà utilisés dans son cycle d’exploitation.
La gestion du capital circulant[2] est donc cruciale en entreprise puisqu’elle est l’outil de la gestion de la croissance de l’entreprise et de sa pérennité. Ce concept est tout aussi valable pour les Etats dans la gestion de leurs avoirs.
Ainsi un Etat peut augmenter sa dette pour consacrer ses avoirs à des dépenses de consommation ou d’équipements futurs, voire accroitre sa dette purement et simplement à défaut d’avoirs suffisants.
La notion de trésorerie piégée est autant un sujet d’entreprise que d’Etat. Ironiquement les deux organisations se croisent sur la place avec, dans certains cas, l’amélioration de la trésorerie de l’une au détriment de l’autre ou inversement; car quand il y a un piégé, il y a forcément un piégeur.
En entreprise, la trésorerie piégée est souvent le résultat d’une mauvaise gestion :
Le ‘Cash’ est l’atout de la capacité d’agir, celle d’acheter ses stocks pour les revendre ou pour les mettre en production, produire et vendre, récupérer le produit de la vente, forcément margé[3] pour à nouveau réintroduire cette trésorerie dans le cycle et développer l’entreprise.
Dès lors, il est facile de comprendre les déboires des gestionnaires, lorsque des chèques de clients reviennent impayés, lorsque les débiteurs tardent à payer l’entreprise ou lorsque cette dernière dispose de stocks importants à rotation faible, ralentissant de la sorte le cycle de transformation d’un actif en liquidité.
A l’inverse payer ses fournisseurs par anticipation peut également constituer un piège à trésorerie.
Les bailleurs de fonds et les autres créanciers d’une entité se trouvent également dans une situation de liquidité piégée si, à échéance, leur créance n’est pas soldée.
Les actionnaires ou associés qui comptent parmi les créanciers de la société, au titre du capital versé, ne sont pas dans cette logique, puisque dans une prise de risque social[4], ils ne comptent pas récupérer leur investissement à court ou long terme. Leur capital est plutôt une sécurité qui leur procure, en général, des revenus que sont les dividendes.
Mais il arrive souvent que les actionnaires ou associés soient mis à contribution par des avances en compte courant. Ces avances de trésorerie, souvent appuyées par des accords de prêts d’actionnaires, constituent une créance hors du champ du risque social, car réputée remboursable. Néanmoins les comptes courants d’associés ont vocation à constituer une ressource stable car remboursables à long terme, voire à capitaliser en fonds propres.
Les banquiers ont d’ailleurs tendance à les considérer comme des quasi fonds propres et à exiger, en garantie des financements bancaires, une « convention de blocage des comptes courants d’associés », ces derniers s’engageant vis-à-vis de la société, à ne pas réclamer ces sommes devenant indisponibles pour les associés jusqu’à échéance et remboursement des prêts bancaires.
Ces avances présentent l’avantage, dans la plupart des cas, de ne pas être rémunérées et constituent de la sorte un mode de financement gratuit.
Appliquée au niveau d’un pays, la trésorerie piégée est souvent le résultat de l’application de réglementations.
La trésorerie piégée représente dans ce cas, les fonds détenus sur un territoire, très souvent différent du pays d’origine.
De façon volontaire, il peut s’agir de fonds logés dans une juridiction qui offre des avantages fiscaux supérieurs au pays d’origine, mais qui se trouvent bloqués par le simple fait que leur rapatriement au pays d’origine engendrerait l’application d’une fiscalité élevée.
Du coup, les sociétés mères préfèrent retarder les rapatriements de ces fonds, constituant de la sorte des réserves de trésorerie importantes sur des places où elles n’ont pas d’utilité pour les groupes d’entreprises et où elles ne sont pas utiles pour servir d’élément de garantie dans les recherches de financement au niveau des groupes.
La liquidité piégée se trouve également dans les pays qui offrent des avantages fiscaux pour attirer l’investissement étranger, tel que l’a fait l’Algérie.
Ces mesures assurent un traitement fiscal particulier, allant de réduction de taux à l’exonération totale d’impôts pour une durée déterminée; mais l’Etat d’accueil peut également imposer des restrictions sur les sorties de trésorerie. Tel est le cas de l’Algérie qui avec sa politique de gestion de réserves de changes très conservatrice a mis en place des procédures de flux plus restrictives depuis la loi de finances complémentaire pour 2009.
Le contrôle des mouvements de capitaux impliqués dans l’exploitation, tels que les transferts nécessaires aux paiements des fournisseurs étrangers, peut amener les entreprises à alimenter en amont, par des ressources stables, comme les prêts d’actionnaires, leurs filiales et permettre au cycle d’exploitation de générer une trésorerie non piégée.
Tel a été le cas de nombreuses entreprises, filiales en Algérie de groupes étrangers, qui ont été financées par des prêts d’actionnaires, pour parer aux contraintes du recours exclusif au crédit documentaire, outil de délestage quasi-immédiat de trésorerie, créant en boucle un piège supplémentaire pour la liquidité d’entreprise.
Dès lors les entreprises sont obligées de trouver, pour leur survie, des moyens plus contraignants, parfois plus lourds, pour minimiser l’impact de ces pièges.
Les pratiques les plus courantes pour libérer le ‘Cash’ reposent le plus souvent sur des réglementations:
Tel est le cas des prêts d’actionnaires qui reposent sur des fondements du droit civil et plus particulièrement du droit commercial.
La réglementation bancaire régit également cet aspect, puisqu’elle a permis jusqu’au mois de décembre 2010, la domiciliation en bonne et due forme, de conventions d’avances de trésorerie non rémunérées mais remboursables ; du moins jusqu’au jour[5] où une note très controversée de la Banque d’Algérie a été adressée aux banques de la place pour inviter les filiales de groupes étrangers à transformer leurs dettes, issues d’avances de trésorerie, en capital avant le 31 décembre 2010.
De nombreuses entreprises se sont trouvées avec une trésorerie piégée, avec parfois des sommes importantes ne justifiant pas une capitalisation.
Dans ce cas précis, la controverse vient du fait que la note de la Banque d’Algérie émettait une ‘instruction de fait’ en friction totale avec des dispositions du code de commerce, notamment celles applicables en matière d’augmentation de capital des sociétés.
Le fondement de cette note repose sur les dispositions de la loi de finances complémentaire pour 2009, qui en autres de mesures de consolidation des instructions du Chef du Gouvernement de décembre 2008, sous forme d’amendements à l’ordonnance n0° 01-03 du 20 août 2001 relative au développement de l’investissement, a énoncé le recours obligatoire au financement local, sauf cas particulier et à l’exclusion du capital social, des financements nécessaires à la réalisation des investissements étrangers.
Or les avances de trésorerie n’étaient pas systématiquement consacrées à la réalisation d’investissements, puisque consacrée à financer du cycle d’exploitation et comme les mesures d’application de ce dispositif sont absentes, la raison du plus fort est toujours la meilleure.
Cette raison est toutefois très logique puisque dans le même dispositif de loi de finances complémentaire pour 2009 il est fait obligation pour tout projet d’investissement direct ou en partenariat de présenter une balance devises excédentaire au profit de l’Algérie, pour toute la durée de vie du projet.
Dès lors il est possible de conclure que l’Algérie n’est pas le meilleur terrain pour l’optimisation de la liquidité internationale d’entreprises étrangères.
Mais alors, quelles sont les options disponibles?
Les options disponibles pour libérer le ‘Cash’ tout en étant en conformité avec les réglementations résident dans le transfert des dividendes, les acomptes sur dividendes et les rémunérations de prestations comme l’assistance technique.
Les dividendes restent le revenu incontestable d’un investisseur, encore faut-il veiller à procéder à sa mise en paiement dans les neuf mois suivants la clôture de l’exercice.[6]
Nous avons déjà exprimé notre opinion sur le sujet des dispositions de l’article 724 du code de commerce algérien, inspiré de la loi française sur les sociétés, mais appliqué néanmoins dans un contexte différent. Cette disposition prévoit un délai maximal de neuf mois pour la mise en paiement des dividendes, en principe pour la protection des petits actionnaires et des investisseurs qui ne participent pas à la vie de l’entreprise.
En Algérie, ce délai des neuf mois est de plus en plus invoqué par la Banque d’Algérie, pour justifier le recours à la prorogation de délai accordée par ordonnance du président du tribunal de commerce statuant sur requête, à la demande du conseil d’administration ou de la gérance.
Cette procédure constitue de la sorte un autre frein aux procédures de transfert de dividendes.
Il reste la possibilité de verser des acomptes sur dividendes, tel que prévu par le code de commerce. Cette solution peut présenter l’avantage de libérer de la liquidité en au moins deux temps sur un même exercice. Elle s’avère dans la pratique bien lourde à gérer car la société concernée:
– doit disposer, après la répartition décidée au titre de l’exercice précédent, de réserves autres que la réserve légale, d’un montant supérieur à celui des acomptes, ou
– établir un bilan intérimaire certifié par un commissaire aux comptes qui doit faire apparaître que la société a réalisé, au cours de l’exercice, après constitution des amortissements et provisions nécessaires, et déduction faite, s’il y a lieu, des pertes antérieures, ainsi que de la dotation à la réserve légale, des bénéfices nets supérieurs au montant des acomptes.
La dernière possibilité est d’utiliser la trésorerie piégée pour rémunérer des importations et des services, sous condition évidente d’une matérialité de la contrepartie, sinon de la réinvestir localement, lorsque des mesures attractives sont en place.
Au final les voies de libération de la trésorerie piégée en Algérie sont peu nombreuses et pour celles qui existent, lourdes en procédures.
Du côté de l’Etat, la trésorerie disponible est reflétée principalement dans le niveau des réserves de change. A ce niveau, la gestion n’en est pas moins risquée, car nonobstant les effets de variation de change, trop de ‘Cash’ en fait un piège en lui-même quand ces réserves ne sont pas placées et rentabilisées.
[1] Anglicisme pour désigner l’argent liquide, les espèces et les paiements au comptant.
[2] Expression comptable pour désigner les actifs à court terme.
[3] Contenant une marge bénéficiaire.
[4] Risque de perte du capital.
[5] Note du 9 décembre 2010 de la Banque d’Algérie sur les avances de trésorerie.
[6] Notre contribution du 8 novembre 2010 sur les dividendes.