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Publication et présentation de bilan inexact.

Nous avons consacré dans l’édition du 15 mars 2010 du supplément économique d’El Watan une contribution sur la publication des comptes, occasion pour aborder un lectorat préparé sur un autre sujet à la fois simple et complexe : celui de la publication et de la présentation de bilan inexact.

Publicité et publication des comptes : une même portée

Pour rappel, l’article 12 de la loi 04-08 du 14 août 2004 relative aux conditions d’exercice des activités commerciales, retient la publicité des comptes et avis financiers parmi les publicités légales de personnes morales, comme celles qui ont pour objet de faire connaître aux tiers, le contenu des actes constitutifs de sociétés, les transformations, les modifications ainsi que les opérations portant sur le capital social, les nantissements, les locations-gérances et les ventes de fonds de commerce.

Par ailleurs le code de commerce [1] prévoit que les comptes sociaux font l’objet, dans le mois qui suit leur adoption par l’assemblée générale, d’un dépôt au centre national du registre de commerce (CNRC), ledit dépôt valant publicité.

La publication a un sens plus large puisqu’en plus de la publicité régie par la loi 04-08 du 14 août 2004, elle s’entend  de toute diffusion et quel que soit le moyen utilisé pour faire connaître au public l’information concernée.  Tel est le cas des publications faites volontairement par voie de presse.

La formalité de publicité n’est pas une fin en soi.

Il ne suffit pas que la formalité de publicité soit accomplie, mais encore faut-il que le bilan publié soit sincère, voire exact. Mais peut-on garantir avec certitude l’exactitude d’un bilan ?

La vie des sociétés est tellement riche qu’il est difficile de le soutenir de la sorte. Par ailleurs les états financiers résultent de données comptables mais également de jugements assortis d’hypothèses.

La notion de sincérité repose sur le fait que les états financiers sont présentés ou publiés sans intention de tromperie. Quant à l’inexactitude, il est difficile de trouver une définition consacrée par la loi, même si les dispositions pénales du code de commerce citent la présentation de bilan inexact comme infraction.

L’inexactitude est en principe déjà appréhendée par les commissaires aux comptes qui dans le cadre d’une intervention positive s’assurent que les corrections nécessaires sont apportées avant que les comptes sociaux ne soient approuvés par l’assemblée générale.

D’ailleurs certaines prescriptions du code de commerce apportent un certain nombre de procédures préventives sur le sujet. Ainsi selon l’article 715 bis – 10-3° du code de commerce les commissaires aux comptes portent à la connaissance du conseil d’administration ou du directoire et du conseil de surveillance, selon le cas, les irrégularités et les inexactitudes qu’ils auraient découvertes.

De même que les commissaires aux comptes doivent signaler à la plus prochaine assemblée générale les irrégularités et inexactitudes relevées par eux, au cours de l’accomplissement de leur mission[2]. Les mêmes obligations incombent aux conseils de surveillance des sociétés par actions qui auront choisi le directoire comme organe de gestion.

Théoriquement, ‘un bilan établi en application des règles conventionnelles devrait traduire la véritable situation de l’entreprise. Il n’en est pas ainsi dans la pratique, car certains dirigeants sociaux, peuvent par malhonnêteté dégager sciemment des bilans inexacts, aboutissant à fausser le jugement du lecteur sur la situation générale ou un élément précis de la situation sociale’[3].

C’est pour cette raison que les dispositions pénales du code de commerce citent parmi les infractions la présentation par les gérants pour les sociétés à responsabilité limitée, ou la présentation et la publication par les présidents, administrateurs ou directeurs généraux pour les sociétés par actions, d’un bilan inexact  en vue de dissimuler la véritable situation de la société.

On relèvera que l’élément intentionnel est cité pour que l’infraction soit qualifiable de délit, puisqu’il est question de présentation, ou de publication de bilan inexact en connaissance de cause, sciemment pour  dissimuler la véritable situation de la société même en l’absence de toute distribution de dividendes.

Dans les deux cas, l’article 800 – pour les sociétés à responsabilité limitée – et l’article 811 – pour les sociétés par actions – prévoient des peines cumulées d’un an à cinq ans d’emprisonnement  et d’une amende de 20.000 DA à 200.000 DA, ou de l’une de ces deux peines seulement, en cas de présentation ou de publication de bilan inexact.

Il faut donc retenir que le délit de publication ou de présentation de bilan inexact  suppose la réunion de trois éléments essentiels :

– l’existence d’un bilan inexact ;

– la publication ou la présentation de ce bilan aux actionnaires ou associés de la société ;

– la mauvaise foi de ceux qui publient ou présentent un bilan inexact.

Pourtant la notion d’inexactitude n’est pas précisée par la loi :

Seules les dispositions pénales y font référence, comme si la sanction était prévue sans pour autant que la nature du délit ne soit clarifiée.

La notion de bilan inexact fait l’objet d’un silence de la loi, car notre code de commerce s’est limité à une simple reprise d’un énoncé de l’ancienne loi française sur les sociétés.

Des développements et de la jurisprudence sur le sujet, il convient de retenir que dès lors que la loi vise expressément le bilan, le document potentiellement sujet de la qualité d’inexactitude est forcément un bilan, alors que les états financiers comptent d’autres tableaux chiffrés.

Cependant le lien entre ce document clé et les autres états peut amener à une contamination de l’inexactitude.

Voici une situation délicate car le législateur exige que le bilan doit être sincère et sanctionne le fait d’établir un bilan inexact, sans avoir défini les critères qui font qu’un bilan est inexact.

Autrement dit ‘la limite entre l’exactitude et l’inexactitude n’est pas définie Cette incertitude ne facilite pas le comportement des dirigeants sociaux soucieux d’agir dans le cadre précis de la légalité’.3

Du côté de la jurisprudence, la pratique a souvent conduit les juges à ne sanctionner que les inexactitudes commises frauduleusement.

L’exactitude serait plus difficile à cerner compte tenu de la relativité de la comptabilité, notamment pour les opérations appuyées par des hypothèses ou des jugements.

Paradoxalement la doctrine comptable considère que l’exactitude n’existe pas en comptabilité en préférant la notion de sincérité et de régularité. La sincérité couvre la notion de défaut de tromperie; la régularité est consacrée par la conformité aux règles.

Publication et présentation résultent de prescriptions légales :

La publication s’entend dans un  sens très large. Elle couvre tout moyen utilisé pour faire connaître le bilan au public, y compris la publicité prescrite par les lois précitées, notamment celle accomplie par le dépôt des comptes sociaux auprès du CNRC.

Il existe également des publications faites volontairement par voie de presse; certains juges ont même assimilé l’affichage et la communication verbale à de la publication.

La présentation s’entend de la communication aux associés ou aux actionnaires, très souvent à l’occasion de l’assemblée générale. La doctrine s’accorde sur le délit de présentation de bilan inexact à reconnaître qu’il n’est pas nécessaire que le bilan ait été approuvé ou non en assemblée générale. Il en serait ainsi également lors de la mise à disposition du bilan au siège de la société ou dès sa transmission aux associés ou actionnaires avant la tenue de l’assemblée générale ordinaire.  En résumé, le délit serait consommé dès que le bilan est mis à disposition, donc dès que les dirigeants sociaux se sont dessaisis du bilan inexact au profit des actionnaires[4].

L’élément intentionnel reste l’élément constitutif du délit

Comme la loi prévoit que la sanction s’applique aux dirigeants qui auront sciemment présenté ou publié un bilan inexact, la qualification de délit ne peut se faire que si les dirigeants sociaux ont commis la faute intentionnellement en toute mauvaise foi.

Ce qui exclut le cas ou l’auteur de la présentation ou de la publication n’a pas  agi en connaissance de la fraude car l’infraction purement matérielle ne constitue pas à elle seule le délit.

Dès lors, ‘le délit ne serait pas constitué s’il y avait eu seulement erreur ou simple négligence’3.

Cette interprétation devrait rassurer, notamment dans les cas où des bilans inexacts résulteraient de l’usage d’un procédé d’évaluation, par préférence à un autre, quand ce procédé est controversé en doctrine.

Tel serait également le cas lié à la problématique des provisions  qui comporte un certain coefficient d’incertitudes. Néanmoins il convient de rappeler que la constitution de provisions – tout comme celle des amortissements –  est une obligation pour que le bilan soit sincère[5].

L’article 720 du code de commerce définit d’ailleurs les bénéfices nets comme la différence entre les produits nets de l’exercice, les frais généraux et autres charges y compris tous amortissements et provisions.

Ce même bénéfice net est la trame du bénéfice distribuable après report des reports bénéficiaires – ou déduction des pertes antérieures –  après constitution de la réserve légale et de la déduction de la part des bénéfices revenant aux travailleurs, le cas échéant. 

Par transitivité,  le défaut de constitution de provision peut former l’un des éléments matériels constitutifs du délit de bilan inexact ou de distribution de dividendes fictifs.

En effet l’article 723 du code de commerce précise  qu’après approbation des comptes et constatation de l’existence de sommes distribuables, l’assemblée générale détermine la part attribuée aux associés sous forme de dividende.

Tout dividende distribué en violation de ces règles constitue un dividende fictif pénalement répréhensible par les mêmes peines d’emprisonnement et d’amendes que celles prévues pour la publication de bilan inexact[6].

Le risque pour les dirigeants est que la qualification de délit dans ce cas ne s’adosse pas forcément à l’élément intentionnel.

En effet une position conservatrice des juges pourrait être de considérer que les dirigeants d’une société ne peuvent pas ignorer que la constitution des amortissements et des provisions est une obligation de la loi commerciale et que le défaut de telles charges fausse le bilan.

Si l’élément intentionnel préserve les dirigeants sociaux des sanctions pénales en raison de fautes de gestion dès lors qu’ils ont agi de bonne foi, l’ignorance de prescriptions précises de la loi ne peut être invoquée, dans tous les cas.


[1] Article 717 – 3ème alinéa du code de commerce

[2] Article 715- bis 13 du code de commerce

[3] Thèse de doctorat de spécialité en économie et administration des entreprises-  Le délit de présentation et de publication de bilan inexact de Feu Ali Hadj Ali

[4] Constantin – Droit pénal des sociétés par actions.

[5] Article 718 du code de commerce.

[6] Articles 800 et 811 du code de commerce.

Post Author: Samir Hadj Ali